Déclaration devant le congrès Italien pour l’abrogation de la peine de mort en 1996

Ils ont tué Matoub
07/12/2016
Déclaration lors de la remise du Prix de la liberté d’expression décerné le 22 mars 1995 par le S.C.I.J. (Canada)
07/12/2016
Ils ont tué Matoub
07/12/2016
Déclaration lors de la remise du Prix de la liberté d’expression décerné le 22 mars 1995 par le S.C.I.J. (Canada)
07/12/2016

ROME, 1996

Déclaration devant le congrès Italien pour l'abrogation de la peine de mort en 1996


 

Mesdames et messieurs,

Je suis ici pour la Marche des Rameaux sur invitation de la campagne pour l’abolition de la peine de mort « ne touchez pas à Caen » et du parti radical. Permettez-moi de dire quelques mots dans ma langue maternelle, le berbère, à la mémoire de Jugurtha, roi de Numidie, mort dans une cellule ici à Rome il y a plus de deux mille ans : « Anerrez wala an-neknu » (Plutôt rompre que plier).

Chers amis,

J’ai été condamné à mort par le GIA (Groupe islamique armé). Ils m’ont condamné car pour eux, je suis synonyme de dépravation dans mon pays. Chanter veut dire pour eux s’écarter du chemin, celui de Dieu. Pendant les seize nuits qu’a duré ma séquestration, l’ombre de la mort ne m’a pas quitté un instant. J’avais peur, j’avais très peur. J’ai été confronté à la mort plusieurs fois dans ma vie, mais cette fois-ci cela a été le paroxysme de l’horreur. J’en ai réchappé miraculeusement grâce à un énorme élan de solidarité. La Kabylie s’est soulevée comme un seul homme pour exiger ma libération sans condition.

Malheureusement, beaucoup—et parmi les meilleurs d’entre nous—n’ont pas eu cette chance. Je ne voudrais pas vous remémorer cette expérience douloureuse. J’ai hâte de l’oublier comme j’aimerais aussi toujours me rappeler pour pouvoir interpeller la société devant ce danger mortel. Ce que je voudrais dire ici, c’est qu’il n’y a pas que les intellectuels ou les artistes qui sont condamnés à mort, assassinés. Aujourd’hui, on peut être condamné à mort sans le savoir. Comme ces jeunes filles qui rejettent le voile ou qui refusent «zaouadj el moutâa» , ce fameux mariage de jouissance, ainsi que celles qu’on assassine sur le chemin de l’école. Comme ces jeunes gens «coupables» d’avoir effectué le Service national. Comme tant d’autres, «coupables» d’être parent d’un agent
de police ou d’un magistrat ou simplement «coupables» d’avoir pris le bus.

Seigneur Dieu, pourquoi ? Aujourd’hui, tout Algérien qui se lève le matin est un condamné à mort potentiel. La mort, ou plutôt le crime est revendiqué, assumé comme moyen pour instaurer un régime qui est fondé sur l’assassinat. La mort est au coeur du système intégriste, au plus profond de son âme. Mais nous condamnons toutes les morts, y compris celles des Etats. Merci pour votre action qui est aussi notre combat à tous : mettre fin à
toute peine de mort officielle ou sauvage, «civilisée» ou barbare. Non ! Non à l’intolérance ! Tissons ensemble les liens de la solidarité. Je remercie le parti radical et vous tous ici présents pour m’avoir aidé et permis de m’exprimer. Demain, je serai présent pour apporter mon soutien à la campagne pour l’abolition de la peine de mort avant l’an 2000, à l’occasion de la Marche des Rameaux.

Lounès MATOUB

Déclaration de Lounès MATOUB, à Rome, en 1996.